COLOMBIE : UN JOURNALISTE A ÉTÉ POUSSÉ À L’EXIL

La persécution judiciaire qui vient de s’abattre sur le journaliste Ricardo Puentes est un cas de plus, vraiment scandaleux, qui vient s’ajouter aux exactions répétées dont souffrent actuellement les journalistes et les personnes qui expriment leurs opinions sur les affaires publiques

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Colombie : un journaliste a été poussé à l’exil

La persécution judiciaire qui vient de s’abattre  sur le journaliste Ricardo Puentes est un cas de plus, vraiment scandaleux, qui vient s’ajouter aux exactions répétées dont souffrent actuellement les journalistes et les personnes qui expriment leurs opinions sur les affaires publiques

Eduardo Mackenzie
Eduardo Mackenzie

Par Eduardo Mackenzie

Periodismo sin Fronteras, Bogotá

https://www.periodismosinfronteras.org/un-periodista-forzado-al-exilio.html

8 juin 2015

Une nouvelle bavure judiciaire vient d’être commise par le parquet de Bogota à l’encontre de la liberté de la presse. Le journaliste Ricardo Puentes Melo, directeur du portail web  Periodismo sin Fronteras, de Bogota, est l’objet à l’heure actuelle d’un procès où il n’a pas eu la possibilité de se défendre. Non seulement les accusations portées contre lui sont absurdes, mais le juge lui a imposé une sanction financière disproportionnée, avant même que le procès soit terminé : il a ordonné la saisie de la maison du journaliste, où il vivait et travaillait.

Le juge a fait valoir que cette saisie est destinée à garantir le paiement de l’indemnité exigée au journaliste par la requérante. Ricardo Puentes a dû par conséquent quitter son domicile. Il fait face à un procès qui rompt avec les garanties et procédurales de droit classiques, y compris la présomption d’innocence. Ce procès met en danger la vie privée, civile et professionnelle du journaliste.

William Monroy y Ángela María Buitrago
William Monroy et Ángela María Buitrago

La plainte contre Ricardo Puentes a été posée il y a près de cinq ans par une ancienne juge d’instruction (fiscal) Angela Maria Buitrago, mais c’est seulement la semaine dernière que le journaliste a été informé de l’existence de  ce procès. Mme Buitrago est connue pour avoir dirigé l’instruction de l’étonnant « procès du Palais de Justice » qui a condamné, en première instance, le colonel Alfonso Plazas Vega à 30 ans de prison et le général Arias Cabrales, à 35 ans de prison, en juin 2010, sans que la justice ait pu trouver aucune preuve de culpabilité contre eux.

Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique sont des libertés fondamentales de tout être humain. La société démocratique protège ces droits. Le droit du public à connaitre les faits et les opinions qui génèrent  les événements politiques et sociaux, ne peut exister si l’Etat ou les gouvernements ne respectent pas l’exercice du journalisme et s’ils  ne respectent la dignité professionnelle des journalistes.

La persécution judiciaire qui vient de s’abattre  sur le journaliste Ricardo Puentes est un cas de plus, vraiment scandaleux, qui vient s’ajouter aux exactions répétées dont souffrent actuellement les journalistes et les personnes qui expriment leurs opinions sur les affaires publiques (1). Cela montre, malheureusement, que la Colombie est en train de devenir un pays sans liberté d’expression.

Ricardo Puentes est l’un des principaux critiques du procès du palais de justice. Après des recherches difficiles, il a révélé ce qu’aucun autre média n’avait voulu révéler : que dans ce procès il y a eu de graves violations de droit et de procédure et que la fiscal Angela Maria Buitrago  y avait joué un rôle central. Ce fut elle qui, par exemple, a  admis et exploité plusieurs faux témoignages pour pouvoir faire condamner les deux hauts gradés.

Puentes descubrió, además, que la Fiscalía contribuyó durante años a mantener la ficción de “los 12 desaparecidos del palacio de justicia”
Ricardo Puentes est l’un des principaux critiques du procès du palais de justice

 

Ricardo Puentes a également constaté que le Parquet (Fiscalía) avait contribué pendant des années à maintenir la fiction des « 12 disparus du Palais de justice », en gardant sous silence l’endroit où étaient inhumés les cadavres et ce qu’il restait des dépouilles des personnes qui avaient été tuées dans la cafétéria par les terroristes lors de leur attaque du palais de justice de Bogotá en novembre1985.

A cause de cela et à cause d’autres révélations, le journaliste Ricardo Puentes doit faire face à un procès qui est un autre exemple de la justice politisée colombienne: un procès qui a été instruit à son insu et qui lui a imposé une sanction économique sévère avant même qu’il y ait eu une sentence de condamnation.

Autre détail curieux: Mme Buitrago avait déposé sa plainte auprès de l’unité anti-terroriste du Parquet (Fiscalia), sans établir quel rapport pouvait-il y avoir entre l’activité du journaliste et le terrorisme. Cette unité a constitué un dossier contre Ricardo Puentes pendant près de cinq ans sans rien dire à l’intéressé. Jusqu’à aujourd’hui, Ricardo Puentes ignore quels sont les faits « de terrorisme» que Buitrago lui reproche car le parquet  n’a jamais notifié la demande à Puentes ni l’a invité à expliquer sa conduite.

Le journaliste Ricardo Puentes estime qu’en outre, les enquêteurs ont violé sa vie privée: « Un technicien m’a informé que mes téléphones étaient sur écoute. J’ai écrit au parquet demandant s’il y avait un mandat pour une telle écoute. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me répondre à cette question ». Dans ces conditions, l’unité antiterroriste a continué à constituer un dossier en catimini et à charge sans se soucier d’y apporter les éléments à décharge en faveur du journaliste.

Comme l’instruction n’a pas constaté que Ricardo Puentes avait commis de délits de « terrorisme », le parquet a renvoyé l’affaire à un autre bureau. Celui-là a finalement reformulé les charges et la semaine dernière le tribunal 55 de Bogotá a convoqué, pour la première fois,  Ricardo Puentes. Lors de l’audience, le journaliste a été informé qu’il avait été accusé de deux délits: « diffamation aggravée » et « calomnie aggravée » et qu’en plus, il devait faire face à un autre facteur aggravant: la « contumace » –comme si la notification avait été faite et comme si Puentes avait délibérément tourné le dos au procès, ce qui n’est pas le cas–.

Après l’audience, Ricardo Puentes a écrit une lettre à une association de défense des journalistes pour qu’elle  prenne note de ce qui est en train de se passer. Le journaliste a expliqué que le second fiscal, Danilo Arévalo, fiscal délégué 224, ne l’avait pas informé de la demande (tout comme le fiscal antiterroriste qui ne l’avait pas fait non plus) et qu’il n’avait même jamais proposé l’audience de conciliation qui est d’usage dans pareil cas. « Mon droit à avoir un procès  équitable, avec une procédure régulière, a été violé », estime le journaliste.

Ricardo Puentes rappelle qu’il a reçu un jour un mystérieux appel téléphonique. Comme il en avait reçu d’autres (généralement intimidants à cause des articles qu’il a écrit), il a demandé à l’appelant qu’il était. La voix a répondu qu’il était le fiscal Danilo Arévalo. Puentes lui a demandé, à juste titre, de confirmer ceci par écrit et officiellement car il avait reçu, dans le passé, non seulement des menaces de mort, mais aussi d’intimidations. Puentes n’a jamais reçu aucune notification par écrit de la part d’Arévalo, comme l’exige le Code de procédure. Il ne lui a jamais envoyé de convocation, « comme cela peut être vérifié par l’absence de cachets et de signatures des notifications qu’il dit m’avoir envoyé », écrit Ricardo Puentes.

Ricardo Puentes y su abogado, Johm Saulo Melo
Ricardo Puentes et  John Saulo Melo

Sous le silence le plus absolu et à l’insu de l’accusé, le procès à continué. Le résultat de cette procédure arbitraire a été désastreux. Lors de l’audience de la semaine dernière, le journaliste a été notifié par la juge Nathalie Andrea Motta Cortes qu’il est accusé d’«injure et de calomnie aggravées », en dehors de l’aggravant de la « contumace » et que, de plus, son domicile et lieu de travail, dont il est propriétaire, «  avait été saisi à partir de ce moment et pour une durée de six mois ». Et que, enfin, s’il venait à être condamné, il risquait cinq ans d’emprisonnement. La juge a refusé d’admettre que la non-notification de la demande au journaliste constituait une violation à la procédure régulière.

John Saul Melo, l’avocat de Ricardo Puentes, considère que la saisie du domicile du journaliste constitue un abus de la part de la plaignante et de la juge car une telle mesure, prise avant  même que l’accusé soit déclaré coupable,  laisse entendre qu’il a été déjà condamné.

Lors de l’audience,  M. Arévalo a dit à Ricardo Puentes qu’Angela Maria Buitrago avait déposé la plainte contre lui pour l’un de ses articles, publié en septembre 2010. Il a omis toute référence à la phrase ou aux phrases exactes sur lequel repose l’acte d’accusation.

Devant  l’avalanche brutale d’injustices à son encontre, et craignant pour sa sécurité, le journaliste a décidé de quitter le pays sur le champ.

Le portail web Periodismo sin Fronteras lutte contre la censure et l’auto-censure dans la presse et, ce faisant, il incarne l’honneur de la profession et il fournit un précieux service public. Il est inacceptable que certains individus, pour se venger d’un journaliste indépendant, et pour protéger certains intérêts politiques, veuillent se défaire de Ricardo Puentes et détruire le remarquable espace de liberté qu’il a créé. L’instrumentalisation de la justice, avec des procès clandestins et avec le manque absolu de respect des règles du droit, des méthodes dignes des pires dictatures, doit être dénoncée et rejetée par les forces vives de Colombie  avant qu’il ne soit trop tard. Y a t-il d’autres procès montés en secret à l’encontre d’autres journalistes colombiens et à leur insu ?

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(1). Je citerai seulement trois des cas les plus récents des bavures et des sanctions judiciaires excessives dans le domaine de la presse. 1.- Le 21 mai 2015, la journaliste Maria Isabel Rueda a été convoquée pour interrogatoire auprès de la Fiscalia générale pour avoir interviewé Francisco Santos, candidat à la mairie de Bogota, le 8 septembre 2014. Maria Isabel Rueda considère que cette citation constituait un « harcèlement de la presse libre » et une tentative de violation de la confidentialité des sources d’un journaliste.  C’est la deuxième fois que Rueda a subi ce type d’intimidation. Elle a également été convoquée pour avoir écrit un commentaire sur l’assassinat du leader conservateur Alvaro Gomez Hurtado. 2.- Le 1er juin 2015,  la fiscal 49 a libéré alias ‘JJ’, un homme qui avait été emprisonné pour avoir enlevé, torturé et violé la journaliste Jineth Bedoya Lima, le 25 mai 2000. 3.- Gonzalo Hernán López Duran a été condamné à 18 mois de prison pour avoir écrit un commentaire sur une question d’intérêt public  sur le portail web du journal El País, de Cali. La plainte avait été déposée par Gloria Escalante, directrice de la Fédération colombienne des départements. Tous les pourvois interposés par López ont été rejetés.

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