COLOMBIE: PROCESSUS DE PAIX, PROCESSUS DE MORT

Santos savait mieux que personne que les Farc n’ont jamais respecté leurs promesses, et qu’elles n’ont pas renoncé à tuer des Colombiens où et quand elles le veulent

Colombie: processus de paix, processus de mort

Santos savait mieux que personne que les Farc n’ont jamais respecté leurs promesses, et qu’elles n’ont pas renoncé à tuer des Colombiens où et quand elles le veulent

Eduardo Mackenzie
Eduardo Mackenzie

Par Eduardo Mackenzie *

16 avril 2015

Le nouveau massacre dans le village de Timba, Cauca, le 14 avril dernier, où 11 jeunes soldats ont été tués, surpris dans leur sommeil, par des guérilleros des Farc, aurait pu être évité. Mais il ne l’a pas été. Les Farc ont pu transporter leurs hommes et leurs explosifs sans encombre et se rassembler à l’endroit choisi par elles pour monter leur lâche embuscade. Personne n’a vu ces préparatifs. Personne n’a vu marcher les narcoterroristes sur les routes ni dans les montagnes, car la surveillance aérienne et terrestre avait été désactivée par l’Etat colombien quelque semaines avant.

Les appels radio des soldats, qui demandaient l’envoi urgent d’avions de combat pour refouler  les attaquants, dès les premières minutes de l’assaut, n’ont pas été suivis d’effet. La Force aérienne, l’arme la plus redoutée par la guérilla, avait reçu quelques jours auparavant l’ordre de s’abstenir d’attaquer les Farc. Le président de la République, Juan Manuel Santos, avait dicté, en effet, cet ordre absurde en prétextant que les Farc étaient en train de « respecter» le cessez le feu unilatéral qu’elles avaient annoncé et qu’en outre il fallait que l’Etat colombien, en dialogue « de paix » avec les Farc à La Havane, contribue à la «désescalade du conflit ».

Bilan de la décision aberrante de Santos : 11 soldats tués sur le champ et 20 autres gravement blessés (pour ne pas mentionner les autres attaques subies ailleurs par la force publique au cours des dernières semaines). L’attaque nocturne à Timba, où une centaine d’assaillants ont utilisé des mortiers, des grenades de main et des tirs de fusil, a duré quatre heures et demie. Pendant ce temps, les soldats n’ont reçu aucune aide.

Santos savait mieux que personne que les Farc n’ont jamais respecté leurs promesses, et qu’elles n’ont pas renoncé à tuer des Colombiens où et quand elles le veulent. Santos savait que la dite « trêve unilatérale des Farc » était une imposture. Néanmoins, il a donné l’ordre de plaquer au sol la force aérienne et il s’est rendu ensuite à une marche « de la paix » convoquée par les Farc le 9 avril 2015, alors même que les Farc préparaient secrètement l’embuscade sanglante du 14 avril.

Entre la tuerie de Timba et l’ordre de Juan Manuel Santos il y a une relation de cause à effet. Il y a un trait de sang très direct et clair entre ces deux faits. Santos sera certainement lié à jamais par cet épisode grave car son ordre a créé les conditions parfaites pour l’organisation d’un acte de guerre qui a terrifié la population et traumatisé les forces de sécurité de Colombie.

Dans un Etat de droit, la situation créée par un tel ordre et par son résultat immédiat, aurait donné lieu à un procès en responsabilité. Celui qui a donné cet ordre est responsable de son résultat. Sont responsables aussi les fonctionnaires civils et militaires qui ont décidé, dans les moments les plus dramatiques, de ne pas envoyer de soutien aérien aux militaires attaqués. L’attaque a duré quatre heures et demi. Malgré cela, personne n’a levé le petit doigt pour aider ces soldats. En haut lieu on a préféré respecter l’ordre de Santos qui interdisait toute action de la Force aérienne contre les Farc.

Juan Manuel Santos avec Jorge Enrique Mora et Oscar Naranjo
Juan Manuel Santos avec Jorge Enrique Mora et Oscar Naranjo

Voici donc ce qu’est le processus de paix en Colombie. Voici donc la direction que Santos a donnée aux pourparlers avec les Farc à La Havane. Un processus qui produit des résultats si néfastes contre la Colombie ne peut être nommé processus de paix. On devrait l’appeler comme ce qu’il est: un processus de mort. La Colombie a été engloutie dans une spirale de mort physique et mentale à cause de cette farce de «la paix» à La Havane. Cet engrenage sinistre tourne et s’emballe et avance dans la destruction des intérêts de la Colombie. C’est à cela que, précisément, fait référence le dictateur cubain Raul Castro quand il dit que le processus de paix en Colombie « va très bien ». Nous devons donc mettre fin à cette opération mensongère que Santos et les Farc appellent processus de paix. Car la Colombie a besoin de paix, mais d’une paix véritable.

Les citoyens et leurs parlementaires vont demander surement des explications. La tragédie de Timba doit être l’objet d’une enquête. L’opinion publique ignore les détails de ce qui s’est passé dans la nuit du 14 avril 2015 à Timba, dans la commune de Buenos Aires, Cauca. La Colombie a le droit de savoir. C’est la première fois qu’un président colombien ordonne de clouer à terre la Force aérienne, le principal instrument de lutte de l’Etat contre le plus grand ennemi de la Colombie.

L’ordre bizarre de Santos, un pas de plus vers le suicide national, vers le « cessez le feu bilatéral » tant demandé par les Farc, a ouvert un boulevard aux terroristes pour frapper violemment l’Armée colombienne. Certains observateurs, dont je suis, avaient prédit cette catastrophe. C’est la première fois qu’une mesure d’un tel acabit mène si directement à un acte de guerre qui mine le moral des forces armées.

Le nouveau massacre dans le village de Timba, Cauca, le 14 avril dernier, où 11 jeunes soldats ont été tués, surpris dans leur sommeil, par des guérilleros des Farc
Le nouveau massacre dans le village de Timba, Cauca, le 14 avril dernier, où 11 jeunes soldats ont été tués, surpris dans leur sommeil, par des guérilleros des Farc

Santos estime qu’il peut s’en sortir avec une nouvelle pirouette: en donnant l’ordre de « lever la suspension des bombardements des camps des Farc ». Il n’avait, d’ailleurs, par le choix, face à la colère des milieux militaires et de la population civile. Dans trois grandes villes, Cali, Bogotá, Medellín, Santos a été conspué par la population après les faits de Timba. Mais ce contrordre de dernière minute sera-t-il suffisant ? Les forces armées colombiennes ont besoin d’une direction intelligente et souveraine, et pas  dirigée par Cuba, si elles veulent récupérer l’initiative. Plus que jamais, la proposition de l’ancien président Alvaro Uribe d’exiger la concentration des colonnes des Farc dans un seul point de la géographie est indispensable.

Cependant, au lieu d’analyser le sens profond de la décision des Farc de continuer leur offensive, Santos revient à la ligne de toujours, celle de leur faire des concessions en proclamant, la main sur le cœur, qu’il faut « accélérer les négociations pour mettre fin au conflit ».

C’est précisément ce que veulent les Farc. Leurs propagandistes le disent explicitement: l’incident de Timba n’est rien, il faut «accélérer le cessez le feu bilatéral». Les Farc exploitent donc cette nouvelle tragédie pour exiger la reddition de l’Etat, sous la forme d’un cessez-le feu bilatéral, pour asséner mille coups comme à Timba, chaque mois et dans chaque département, jusqu’à ce qu’elles puissent entrer à Bogota à coups de canons et des mortiers. Le processus de paix est fait pour cela.

Trente familles sont plongées dans la douleur pour le sort couru par leurs enfants. Santos n’a pas eu la moindre expression de solidarité avec elles. La mort de ces soldats est un chiffre négligeable pour ce personnage. Santos n’a pas proposé une cérémonie en leur honneur. Les corps des soldats morts ont été hâtivement renvoyés dans leurs villages. La distance qui se forme entre cet étrange président et le milieu militaire colombien donne froid dans le dos.

*Eduardo Mackenzie est journaliste. Il est l’auteur de Les Farc ou l’échec d’un communisme de combat (Editions Publibook, Paris, 2005, 593 pages).

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