COLOMBIE: L’ÉTRANGE ENLÈVEMENT DU GÉNÉRAL ALZATE

Colombie: L’étrange enlèvement du général Alzate

Par Eduardo Mackenzie

2 décembre 2014

Sous le commandement du président Juan Manuel Santos, les Forces armées et d’autres organismes responsables de la sécurité nationale colombienne, connaissent une de leurs pires époques. Ce qui est arrivé au général Rubén Darío Alzate, commandant de la Force opérationnelle interarmées Titan, dont la juridiction est dans le Chocó, une région riche, immense et, avec un accès à deux océans, stratégique pour la sécurité de la Colombie, a laissé le pays abasourdi.

L’enlèvement du général Alzate, le 16 novembre 2014, par un petit groupe armé des FARC, et sa libération, 14 jours après,  ainsi que celle  de ses deux accompagnants au moment du rapt, le caporal  Jorge Rodríguez et l’avocate Gloria Urrego, ne sont digérés par personne.

Après avoir reçu l’ordre du président Santos de s’expliquer publiquement, le général Rubén Alzate a fait une déclaration où il renonce à sa carrière militaire et admet, entre les lignes, avoir été    victime d’un grave accès de naïveté, de sa part et de la part des services de renseignement militaire de la XVème  Brigade de l’armée colombienne.

Avec 33 années au service de l’armée, le général Alzate affirme que lui et ses compagnons ont été « enlevés à un moment où ils étaient sans défense » par des hommes du front 34 des FARC. Il a admit qu’il avait adopté une position de «profil bas» (entrer dans une zone de guerre sans armes, sans uniforme et sans escorte militaire) pour visiter le hameau de Las Mercedes où il espérait installer des turbines dans la rivière Atrato pour produire des « énergies alternatives ».

Pourquoi ce commandant, au lieu de s’occuper des affaires de la guerre, était-il en train de faire du travail social? Pourquoi la décision angéliste (et suicidaire)  du général a-t-elle échappée au contrôle du haut commandement militaire à Bogota ? Nul ne le sait. Alzate a évoqué, pour le moins, un détail intéressant: il a révélé qu’avant d’entreprendre cette exploration il avait consulté « les renseignements militaires sur la situation opérationnelle de la zone».

Toutefois, les renseignements qu’il a reçus étaient inexacts. Le général a été capturé 15 minutes après le début de son voyage en bateau depuis Quibdo, la capitale du département. Pendant sa captivité, il fut menotté et attaché pendant la nuit, a t-il expliqué. Le caporal Rodriguez a subi le même sort. « Les terroristes nous ont forcés  à  marcher plus de huit heures par jour à travers la jungle, en plus de nous menacer de mort si nous avions l’intention de nous évader. Enfin, j’ai été obligé de participer au show médiatique monté par ces terroristes avec des photos et des vidéos le jour de notre libération », a t-il ajouté.

Le récit que vient d’offrir le général Alzate est peut être sincère, mais il est insuffisant. Comment un général avec une longue expérience dans la lutte contre la subversion peut-il commettre des erreurs dignes d’un débutant ? Qu’est-ce qui lui a fait penser qu’il pouvait adopter un « profil bas » dans une zone de guerre? Comment a-t-il pu  se laisser kidnapper de la sorte?

Dans sa déclaration, le général Alzate a omis de mentionner  l’aspect le plus important de son aventure: l’apparition, lors de la remise à la Croix-Rouge des trois otages,  du chef de guerre des FARC, alias Pastor Alape, celui-là même qui avait remplacé le redoutable Mono Jojoy dans l’organigramme des Farc.  Cette apparition a été une surprise. Alape, alias de Félix Antonio Muñoz Lascarro, fait partie des «négociateurs» des FARC à Cuba. Pourtant, cet individu a quitté l’île et est arrivé dans le département du Chocó, échappant à la vigilance de l’Etat colombien, et a rejoint  le groupe de ravisseurs. Alape était-il  en Colombie depuis le jour de l’enlèvement d’Alzate? Le gouvernement de Santos devrait fournir au pays des explications et apporter des éclaircissements sur d’autres  détails de l’affaire.

En tout cas et avec l’aide de photographes d’une agence vénézuélienne qui n’était pas invitée, Alape a monté une mise en scène pour humilier Alzate. Voir le général en train de donner une accolade au chef terroriste a déclenché une vague d’indignation  et a suscité de nombreuses  questions en Colombie. A Cuba, les négociateurs de Santos ne cachent pas leur colère.

Par conséquent, peu ont été satisfaits avec les déclarations  d’Alzate et le silence de Santos n’est pas moins blâmable.

Pastor Alape a occupé le terrain et a imposé l’image qu’il voulait. Déconcertée, la presse a décrit la scène comme un acte désintéressé. Elle a dit que le terroriste avait « voyagé tout spécialement depuis La Havane  jusqu’au Chocó pour livrer sa victime à la mission humanitaire». Habillé en civil et en bras de chemise, le général parait insignifiant  sur ces images.

C’était l’effet subliminal recherché: montrer les FARC comme plus fortes que l’armée colombienne. Montrer qu’un chef des Farc de 68 ans pouvait aller et venir partout où il voulait et que les contrôles  et les frontières de la Colombie ne sont pour lui que des passoires.

Qu’est-il arrivé aux organismes de l’État colombien? Pourquoi la XVème Brigade au Choco, et le renseignement militaire,  ainsi que le renseignement de la police nationale, mais aussi les agents du Parquet, de la CTI, du procureur, du nouveau DAS (un service de renseignement civil), des douanes,  ont-ils  laissé aller et venir Pastor Alape dans cette région? Personne n’a donc rien vu? Y a t-il eu l’ordre de faire semblant de ne rien voir ?

Les FARC montrent ainsi combien a été dégradée, en leur faveur, la relation entre eux et les forces gouvernementales colombiennes. Après ce triste épisode, les FARC ont dit à Santos qu’on devait «recomposer les règles» du processus [de paix à La Havane] et même envisager la possibilité de « fixer les conditions d’un armistice ». Rien de moins.

En même temps, et comme pour punir Santos d’avoir suspendu les pourparlers à Cuba après l’enlèvement du général Alzate, les FARC ont refusé au président colombien la possibilité de fixer lui seul la date de reprise des négociations.

Le triomphalisme le plus fou inspire cette attitude des FARC. Un «armistice » va beaucoup plus loin qu’un cessez-le-feu bilatéral. Il est signé, en général, après une capitulation militaire, quand une armée a clairement vaincu l’autre armée. Est-ce le cas de la Colombie? Est-ce que l’enlèvement du général Alzate est, pour les FARC, la preuve symbolique d’avoir vaincu l’Etat colombien? Santos devrait résister à ces embrouilles et parler au pays. S’il veut, bien entendu, être à la hauteur du drame extrême  que vit  la Colombie.