RENDEZ-VOUS MANQUÉ À MADRID
Enrique Santiago cherche à bafouer la justice pénale internationale pour sauver la peau des pires criminels du continent américain et monter à l’encontre du peuple colombien un procès stalinien pour « paramilitarisme »
Rendez-vous manqué à Madrid
Enrique Santiago cherche à bafouer la justice pénale internationale pour sauver la peau des pires criminels du continent américain et monter à l’encontre du peuple colombien un procès stalinien pour « paramilitarisme »
Par Eduardo Mackenzie
7 janvier 2016
Le conseiller juridique des FARC, Enrique Santiago, a sabordé à la dernière minute un débat sur le processus de paix en Colombie dans lequel il devait donner la réplique à un responsable du parti colombien Centre Démocratique (CD) devant les caméras d’Hispan TV, de Madrid. Bien que la discussion avait été proposée et acceptée par l’avocat et par Hispan TV depuis décembre dernier, le juriste espagnol a annulé de façon inattendue la rencontre sous prétexte qu’il devait se rendre d’urgence à Cuba pour rencontrer les chefs des FARC.
L’ancien ministre colombien Carlos Holmes Trujillo, coordinateur international du CD, avait fait le voyage de Bogota à Madrid pour débattre avec Santiago, entre autres choses, et il se trouvait le 7 janvier dans la capitale espagnole. La date du débat avait été fixée pour le 12 janvier 2016. Hispan TV avait même invité un autre avocat, Fran Pérez, militant, comme Santiago, d’Izquierda Unida (la Gauche unie), une formation communiste. Pérez est le bras droit du conseilleur juridique des FARC. Mais celui-ci en a décidé autrement en disant que la date du 12 janvier ne lui convenait pas. Si vous voulez, a-t-il ajouté, «j’accepterais le débat », mais fin janvier ou début février « si je me trouve en Espagne » à cette date-là.
Le ton méprisant utilisé par le conseiller juridique des FARC suggère que le renvoi du débat avec l’ancien ambassadeur Carlos Holmes Trujillo était un acte plus politique que technique. Presque jamais les FARC ou leurs porte-parole n’acceptent de partager quelques minutes de discussion publique franche avec leurs adversaires politiques les plus déterminés. Les FARC préfèrent plutôt la médiation ou la discussion ou encore l’échange d’idées ou d’informations sur des sujets spécifiques, avec des gens qu’ils considèrent être des leurs ou qui sont plus ou moins proches de leurs positions. Le débat public à Madrid entre l’ancien candidat à la vice-présidence de la Colombie pour le Centre Démocratique et le conseiller des FARC était en complète contradiction avec cette habitude.
L’annulation (temporaire?) de ce débat à Madrid résulte-t-elle d’un ordre venu de La Havane? C’est possible. Les FARC croient-elles que ce débat en Espagne –pays où la presse, même la moins conservatrice, assume des positions critiques et même très critiques envers le «processus de paix » bidon en Colombie–, renforcerait cette méfiance et aiderait le CD à lancer son offensive contre la proposition inique du président Santos pour une paix assortie d’une impunité et de concessions abusives aux FARC? C’est possible.
Espérons, en tout cas, que le débat entre le Centre Démocratique et Enrique Santiago ne soit pas annulé définitivement. Un événement de cette nature permettrait d’en savoir plus sur cet étrange aide espagnole aux FARC. Par exemple, combien d’argent reçoit cet assesseur à titre d’honoraires? Qui le paie pour ce travail? Est-ce le trésor colombien? Les FARC? La dictature de Castro ? Le débat sera l’occasion de trouver d’autres réponses. Que pense le Barreau de Madrid de ce monsieur qui travaille sans rougir pour une organisation considérée comme terroriste par l’Union européenne?
Enrique Santiago a déclaré que son conseil est seulement d’ordre «juridique». Mais il fait aussi de la politique et de la pire. Santiago a une vision extrémiste du processus de paix en Colombie. Sa grande idée est la suivante: que «le processus de paix ne peut pas être converti dans une procédure pénale contre une des parties, l’insurrection. » Pour lui, le processus de paix rime avec l’impunité pour les crimes des FARC. Et uniquement pour les FARC. Le conseiller fait valoir, en effet, que ce processus de paix « définirait les responsabilités de tous ceux qui ont intervenus dans le conflit, et pas seulement les combattants. » Plus précisément, que ce processus permettra de définir les «responsabilités » des « autres acteurs du conflit », de ceux qu’il appelle les «non-combattants».
Ce concept est digne d’un ayatollah. Selon Santiago, «les hommes politiques, les entrepreneurs, les organisateurs de paramilitaires » doivent être traduits en justice, ainsi que les « agents de gouvernements étrangers et les multinationales » qu’il voit comme des «instigateurs de l’assassinat des syndicalistes. »
Conclusion: le conseiller juridique des FARC veut l’impunité totale pour les FARC (vous ne pouvez pas leur faire un procès pénal, dit-il) et, en même temps, il veut intenter un procès pénal aux victimes des FARC: aux hommes politiques, aux entrepreneurs, et aux milliers d’autres Colombiens, y compris des intellectuels, des journalistes, des historiens, des religieux, qui selon lui entrent dans la catégorie d’ «organisateurs des paramilitaires », car on sait bien que pour les FARC et pour leur avocat controversé, la majorité de la Colombie est « paramilitaire » puisque la majorité de la Colombie, à 99% de la population, déteste les FARC et cela depuis plus de cinq décennies.
Enrique Santiago cherche à bafouer la justice pénale internationale pour sauver la peau des pires criminels du continent américain et monter à l’encontre du peuple colombien un procès stalinien pour « paramilitarisme » avec le prétexte que c’est le seul moyen de faire «la paix».
Les manœuvres d’Enrique Santiago apparaissent aussi dans l’«Accord sur le Tribunal spécial pour la Paix (JEP) », texte que Santos et les FARC disent avoir signé. Il y fait des choses étonnantes : il transmute les enlèvements de civils, de policiers et de militaires en «appréhensions », péché véniel à ses yeux, qui ne mérite qu’une sanction légère. Il transmute les embuscades sanglantes contre les militaires et les policiers en « morts au combat ». Il transmute les enlèvements d’enfants, de civils, de militaires et de policiers, ainsi que les hold-up, les vols, les viols, l’empoisonnement des aqueducs, les incendies, le vol de bétail, les explosions, la destruction de villages, les déplacements forcés de population, le vol des terres, la terreur contre les Indiens, le trafic de drogue, l’exploitation minière illégale, en simples « activités visant à faciliter, soutenir, financer ou cacher l’essor de la rébellion », à savoir un crime «politique» qui devrait être, selon lui, amnistié ou gracié. Cela explique pourquoi beaucoup d’observateurs, en Colombie et à l’étranger, estiment que cet « accord de paix » est scandaleux et non viable.
Et ce n’est pas tout : Enrique Santiago est l’inventeur, ou tout au moins le parrain, d’une autre aberration juridique: la «chambre d’amnisties et de grâces du Tribunal spécial pour la Paix» et la «chambre de révisions », en fait des entités folles qui auront le pouvoir absolu de décider, selon un regard politique, qui et quoi devrait être amnistié ou gracié, en totale violation de ce qu’ordonne la loi pénale internationale et les traités sur la protection des droits de l’homme, ratifiés par la Colombie.
L’avocat de la Gauche Unie est celui qui a inventé à La Havane –et celui qui a fait avaler aux négociateurs de la Havane le mot «graves» pour évaporer le dol et la sanction en parlant des crimes de guerre, alors qu’il sait bien que le droit pénal international ne parle jamais de «graves crimes de guerre», mais de «crimes de guerre» tout court. Il sait que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Veut-il que cela soit effacé de l’imaginaire gris de la grotesque «juridiction spéciale pour la paix»?
Il faudrait faire parler de tout ceci l’assesseur juridique des FARC face aux caméras de la télévision espagnole. Si Enrique Santiago a fui cette première confrontation c’est parce qu’il a des raisons. Mais ce débat est incontournable. Beaucoup de gens paieraient cher pour le voir et l’entendre et pour découvrir comment le droit, dans certaines circonstances, peut se transformer en son contraire en abandonnant la victime et même la justice.
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