SAISIE D’ARMES EN PROVENANCE DE CUBA AU PANAMA
L’indifférence avec laquelle les autorités et la presse en Colombie regardent cette affaire est troublante
Saisie d’armes en provenance de Cuba au Panama : les étranges coïncidences dont la Colombie devrait s’inquiéter
Par Eduardo Mackenzie Atlantico, Paris
2 août 2013
Les interrogations autour du Chon Gang Chong, le mystérieux navire nord-coréen transportant des armes russes depuis Cuba, continuent de planer. La principale d’entre elles est de savoir à qui était destiné l’arsenal saisi. Et il semblerait bien que les FARC, en Colombie, aient passé une grosse commande récemment…
Le scandale des armes russes embarquées clandestinement à Cuba dans un bateau nord-coréen qui tentait de traverser le canal de Panama avant d’être stoppé et inspecté dans le port de Manzanillo par les autorités du Panama, évolue d’une façon bizarre. Une semaine après le début de l’inspection du Chon Gang Chong et de la découverte des huit premiers conteneurs chargés de matériel de guerre, une certaine presse, au lieu d’enquêter sur les aspects les plus obscurs de ce trafic d’armes, essaye de détourner l’attention vers des aspects secondaires, et même ridicules.
La Prensa, de Panama, disait hier, par exemple, que le problème n’est pas ce qu’a fait La Havane mais ce qu’a fait le président du Panama, Ricardo Martinelli. Ce journal indique que «la présence et la participation active du président Ricardo Martinelli, dans le processus», est un problème. Il dit que le leader panaméen « a participé non seulement à la saisie [du navire], mais qu’il a affiché des photos et des détails de la procédure dans sa page Twitter ».
Martinelli serait donc coupable d’avoir alerté le monde sur ce que le Panama avait découvert. Toutefois, ce faisant, Martinelli a rempli son obligation constitutionnelle de veiller à la sécurité de son pays. Ce navire transportait non seulement deux avions de chasse russes MIG-21, démontés mais en parfait état de marche, mais aussi un avion ravitailleur, une plateforme pour des missiles sol-air, une antenne radar avec sa plateforme et deux véhicules pour le remorquage des radars. Il cachait aussi deux réservoirs bien remplis d’essence spéciale pour les avions, et plus de 10 000 tonnes de sucre, matière qui est un puissant carburant. En d’autres termes, le navire coréen, qui cachait tout cela dans des conteneurs détériorés, non seulement violait la législation internationale, mais était une « bombe ambulante», comme l’a dit un ministre panaméen: avec la chaleur intense le carburant aurait pu exploser et enflammer les tonnes de sucre provoquant un vrai désastre dans le canal.
Beaucoup d’observateurs au Panama et à l’étranger se demandent, en revanche, où allaient ces armes lourdes et qui étaient vraiment les véritables destinataires, un point qui est le principal de cette affaire. La Prensa, sans apporter aucune réponse, estime que le problème est le rôle du président Martinelli, et pas celui des Cubains ou des Nord-Coréens impliqués dans ce trafic. Il est donc légitime de supposer que devant l’explication incroyable donnée par La Havane –que les avions et les missiles étaient des armes « obsolètes » que la Corée du Nord allait réparer–, la dictature cubaine a exigé à ses agents d’influence, au Panama et dans les Amériques, de faire tout pour détourner l’attention et endormir la communauté internationale pour que les secrets de cette affaire ne fuitent pas, afin que le dossier n’arrive pas devant le Conseil de sécurité de l’ONU, que Cuba ou la Corée du Nord puissent enfin récupérer le bateau et sa cargaison.
Ces armes –les deux MIG-21 avaient été utilisés récemment, selon les experts–, avaient été ensevelis sous 220 000 sacs de sucre pour échapper à la vigilance de la douane de Panama et qui sait de quels autres pays. Qui allait les recevoir et où? Personne n’en sait rien. Ce qu’on sait, c’est que sept autres navires nord-coréens ont fait des voyages à Cuba au cours des quatre dernières années, avec des itinéraires semblables à celui du Chon Gang Chong, selon les autorités panaméennes et le Stockholm International Peace Research Institute. En principe, ces navires ont transporté du sucre. Toutefois, selon Hugh Griffiths, spécialiste en trafic maritime d’armes, consulté par le Washington Post, il est possible que ces bateaux aient pu échapper aux contrôles d’autres pays tels que le Panama, comme le voulait le Chon Gang Chong. La chose la plus intéressante c’est que ce même bateau, en juillet, a traversé le canal et en naviguant dans la mer des Caraïbes a éteint son dispositif de géolocalisation par satellite (transponders) et l’on ignore dans quels ports de Cuba il a été.
L’indifférence avec laquelle les autorités et la presse en Colombie regardent cette affaire est troublante. L’ancien président de la République Alvaro Uribe a dit qu’il avait reçu des informations d’une source fiable selon lesquelles ces armes, ou une partie, étaient destinés aux FARC. Face à cela le gouvernement de Juan Manuel Santos et les médias sont restés silencieux, comme si la chose était totalement impensable. Mais elle ne l’est pas.
Chaque fois que les FARC acceptent de parler de paix avec le gouvernement colombien, elles cherchent à renforcer leurs arsenaux et elles maximisent leurs activités criminelles. Cette fois, elles n’ont pas fait exception. Au contraire, alors même qu’elles divaguent et spéculent à La Havane sur la paix future et éventuelle, elles se réarment avec l’aide de Cuba, du Venezuela et de l’Equateur (par ce pays entrent d’énormes quantités d’explosifs en Colombie) et elles ont réussi à redimensionner leurs structures politiques. Leur comité international, par exemple, est, selon des sources colombiennes, plus fort que jamais et les organisations «populaires», régentées par des miliciens aguerris, agissent à présent sans difficulté. L’émeute et l’occupation de la stratégique région du Catatumbo (à la frontière avec le Venezuela), pas encore maîtrisée par les autorités, est le meilleur exemple de cette offensive. Ceci explique l’effronterie écœurante des FARC qui proposent aux paysans du Catatumbo de leur fournir des armes et des «combattants» pour leur «lutte», ce qui a scandalisé un membre du groupe qui dialogue avec les FARC à Cuba. Le gouvernement colombien, en tout cas, a avalé cette nouvelle couleuvre et continue les dialogues comme si de rien n’était.
C’est dans ce contexte de grande tension, mais aussi d’une grande connivence entre Bogota et la tête des FARC, qu’a éclaté le scandale du navire nord-coréen chargé de matériel militaire cubain qui prétendait passer à l’océan Pacifique. Était-ce juste un hasard? Peut-on raisonnablement écarter la possibilité que ces huit conteneurs, dont les séries d’enregistrement avaient été effacées pour empêcher la découverte ultérieure de leur origine, allaient être déchargés illégalement quelque part sur le littoral colombien ou équatorien? Le navire nord-coréen n’avait qu’à éteindre son transponder pour que sa géolocalisation par satellite devienne presque impossible.
Depuis des années, les FARC font d’énormes efforts pour acquérir des missiles sol-air pour abattre les avions et les hélicoptères militaires colombiens. Elles en ont acquis certains de faible calibre qui, heureusement, étaient inutilisables. Mais elles n’ont pas renoncé pour autant. La contrebande embarquée par Cuba rappelle ces délires. Et rappelle quelque chose de plus audacieux, à la hauteur des circonstances « historiques », qu’elles disent être en train de vivre: une paire d’avions de combat, avec du carburant et tout, conçus pour des attaques au sol et susceptibles d’atterrir sur des pistes moyennes, comme c’est le cas du MIG-21, aurait donné, dans très peu de jours, un nouveau caractère à la menace posée par les FARC à la Colombie. Est-ce cela qui se cache derrière l’épisode -apparent – des armes « inutiles » envoyées à Pyongyang par Cuba ?
Ce n’est pas la première fois que Cuba exporte clandestinement des armes pour promouvoir la «révolution», ni la première fois qu’elle envoie des MIG-21 par navires à d’autres pays, comme elle l’a fait durant les guerres en Ethiopie (1978) et en Angola (1987). Nous allons voir comment ce nouvel épisode où La Havane a été pris en flagrant délit se termine. Nous supposons que les activistes du Forum de Sao Paulo et de l’Alba vont lancer des écrans de fumée pour duper l’OEA et l’ONU. Pourtant, la Colombie ferait bien de se mêler de cette enquête car sa sécurité nationale est en jeu.
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